Nature du projet

LA PHOTOGRAPHIE AU SERVICE DES HISTOIRES FAMILIALES :
UN CHEMINEMENT DE LA SPHÈRE DE L’INTIME
VERS UN COMMUN QUI FÉDÈRE

Ne dit-on pas communément que les activités culturelles sont le thermomètre d’un dynamisme territorial ? Le plus difficile n’est pas d’impulser des activités culturelles via une dynamique de projet, mais de faire en sorte que ces activités fassent écho à l’identité d’un territoire et à ses aspirations. À plus forte raison, les œuvres doivent réussir à parler aux cœurs des habitants.

Doze et La trocambulante, deux artistes qui n’hésitent pas à rompre avec les idées reçuesse sont permis d’enrichir l’altérité d’un panel de familles d’Argenteuil. L’emprunt des histoires familiales s’est effectué sans tomber dans le panneau d’une confiscation narcissiqueCes histoires ne sont pas des faire-valoir au profit de desseins artistiques dont le but échapperait à ceux qui se sont prêtés au jeu. En se gardant de « mettre en boîte » et d’aseptiser ces histoires de familles, ils sont parvenus à les « augmenter » en jouant sur le fil d’Ariane de la mémoire collective. Au risque de filer la métaphore, nous dirons que la bobine était longue.  Connaissant leur penchant pour l’onirisme, savamment distillé tour à tour dans les fonds photographiques sélectionnés par
La trocambulante et au sein des créations ontologiques dépeintes par Doze, j’ai bonheur à constater que cette marotte pour la rêverie sensible s’inscrit également au centre de cette démarche.

L’exposition permet de s’immiscer dans l’intimité des rencontres. Dès lors que nous pressons le pas pour découvrir les différents portraits présentés à la Cave Dimière, notre imaginaire est invité à traduire les aspirations personnelles des familles en projections collectives. Ce jeu de vases communicants permet de façonner du commun. Du reste, que les protagonistes de cette démarche (institutionnels, habitants d’Argenteuil, professionnels de la culture et du lien social) se voient remerciés pour leurs contributions.

En toile de fond, il faut essayer de se représenter ce que l’exposition n’a pas directement vocation à montrer, à savoir le terreau fertile des rencontres et des témoignages recueillis comme autant de matières brutes. Même si l’intensité des rencontres n’est pas visible, elle est le liant du projet. Figurons-nous l’accueil fait aux artistes par les familles aboutissant au dévoilement consenti de leur intimité. L’ouverture des vieux albums familiaux ne pouvant être séparée des récits de vie teintés d’affects, insistons sur le caractère inestimable des témoignages rapportés. D’abord (r)assurés d’avoir bénéficié d’un rapport privilégié, ensuite, d’être devenus les garants de souvenirs précieux, les artistes en furent marqués. Saisies instantanément lors des rencontres, les  portraits de familles, faisant le parallèle avec les anciennes, questionnent : qui des artistes ou des familles ont été les plus marqués par ces échanges ?

Flottant dans les alcôves de la cave voutée, cette intensité se prête à entendre à travers la série de témoignages sonores proposée dans la deuxième salle consacrée à l’exposition. Dans l’écrin de la Cave Dimère, la parole des familles se fait enveloppante et chaleureuse. Le visiteur est invité à s’apaiser à l’écoute des souvenirs intimes. Les photographies pénètrent alors notre imaginaire d’une façon singulière. La comparaison spontanée que le visiteur exerce avec son historiographie familiale donne l’opportunité d’exhumer des fragments d’expériences communes à partager.

L’exposition à la Cave Dimière n’étant qu’une infime partie d’un tout plus subtile, les artistes se sont fait fort de déplacer cet « air en commun » hors les murs pour investir les quartiers de la Ville : Coteaux, Orgemont-Volembert, Centre-Ville, Val Notre-Dame, Val d’Argent Nord et Val d’Argent Sud. En extérieur, des collages monumentaux dévoilent subrepticement des portraits  et des photos de familles, les tirages en noir
& blanc habillent les façades d’immeubles. Ces portraits représentent des habitants de la Ville qui, en acceptant de se prêter à cette pratique poétique, deviennent œuvre à usage commun. Les courbes et profils des portraits rompent avec les constructions modernistes pour mieux en révéler le charme. A n’en pas douter, cette confrontation chatouille l’expérience niemeyerienne.

L’exposition « Un air en commun » s’attache aussi à apporter des éléments de réponses modestes, mais non moins précieux, à une question difficile que se pose l’homme en société : qu’avons-nous en commun ? La réponse des artistes ne manque pas d’air. Elle est ici sans appel, sans hésitation et sonne avec un « TOUT » retentissant. Parmi les trois activités humaines fondamentales, disait Hannah Arendt, il y a l’œuvre — à côté de l’action et du travail. Selon elle, l’œuvre confère une certaine permanence, une durée à la fragilité de la vie humaine et au caractère fugace du temps humain.

Les appétits mémoriels et les soifs d’interprétations pourront être assouvis par la fragrance de cette exposition qui opère une remise à flot de portions d’histoires. Pareil à l’identité, les images du projet ne sont pas figées, elles sont en mouvement perpétuel.

L’orfèvrerie réside aussi dans la justesse du maniement des superpositions historiques et artistiques. Pour preuve, l’affiche principale de l’exposition opère un balancier surprenant. Le résultat de l’immuable passage de relais entre le passé et le présent fait parfois surgir des mémoires qui nous dépassent. Grâce à la médiation d’une habitante, ma propre mémoire familiale se trouve à son tour galvanisée et restituée aux argenteuillais. Sur l’affiche principale, la photographie de mon père, François Massengo, en posture pugilistique, le corps altier, tel le héron de la fable, rend indirectement hommage à la Ville qui l’a fait connaitre en tant qu’éminent boxeur.

Lhouany Siessie 
— Urbaniste

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